La clause bénéficiaire en pratique : la désignation des enfants ! Partie 3

Après avoir mis l’accent dans mes premiers articles sur le mécanisme juridique de la stipulation pour autrui dont l’assurance-vie en est l’illustration parfaite, dans mon dernier article j’avais davantage mis l’accent sur la bonne rédaction de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie. J’avais ainsi abordé la désignation du conjoint et/ou du cohabitant légal comme bénéficiaire du capital décès. Par des exemples concrets, j’avais attiré l’attention du lecteur sur l’importance d’une bonne rédaction de clause.

Analysons aujourd’hui la désignation des enfants dans cette clause bénéficiaire

Comme pour la désignation du conjoint/cohabitant légal, il est possible de désigner les enfants soit génériquement au travers d’une clause standard, soit nominativement. Ainsi dans les contrats d’assurance, on peut trouver des clauses génériques du type : “Les enfants du preneur d’assurance…” ou encore des clauses nominatives du type “Martine  et Frédéric Dupont…”.

Que choisir comme clause me demanderez-vous ? Le résultat semble effectivement identique car ce sont in fine les enfants qui sont désignés dans chacune des clauses mais en réalité, les conséquences juridiques ne sont pas tout à fait identiques.La conséquence majeure provient de l’article 172 de loi sur les assurances de 2014. Cet article institue en droit des assurances-vie un mécanisme de représentation fortement inspiré du mécanisme de la substitution (anciennement représentation) du droit civil.

Selon cet article : “Lorsque les enfants ne sont pas nommément désignés comme bénéficiaires, le bénéfice du contrat est attribué aux personnes qui ont cette qualité lors de l’exigibilité des prestations assurées. Les descendants en ligne directe viennent par représentation de l’enfant prédécédé”.

Si l’on s’en tient à une lecture stricte de cet article, on peut donc comprendre que ce mécanisme de représentation/substitution ne jouera qu’en présence d’une clause générique du type “Les enfants du preneur…”.

Mais qu’est-ce donc ce mécanisme de représentation ?

Il s’agit d’un mécanisme inspiré du droit civil successoral qui veut qu’en cas de prédécès d’un enfant bénéficiaire par rapport à son parent, preneur du contrat, sa part du bénéfice du contrat d’assurance soit attribué à sa propre descendance.

En guise de parenthèse, il est important de préciser que ce mécanisme, même s’il s’inspire du droit civil successoral, a une existence propre grâce au prescrit de l’article 172 de la loi assurance et présente certaines différences avec le droit civil. Ainsi, en droit civil, la substitution ne se limite pas aux enfants du défunt et ne se limite pas au décès. La substitution joue également en cas de renonciation à la succession ou en cas d’indignité successorale… je n’entre pas dans le détail.

Plus fondamentalement, retenons que le mécanisme de la représentation en droit des assurances ne peut plus être confondu avec le mécanisme de la substitution civile (anciennement représentation) pour la raison suivante : le capital d’une assurance-vie n’intègre pas le patrimoine du défunt en raison du mécanisme de la stipulation pour autrui. Ainsi, la substitution civile ne trouve pas à s’appliquer et c’est bien la représentation assurantielle qui s’appliquera éventuellement.

Parenthèse fermée, prenons deux exemples pour illustrer ce mécanisme. Un exemple de clause générique et un exemple de clause nominative. Un père, Jean, souscrit à un contrat d’assurance-vie et souhaite qu’à son décès, le capital de l’assurance revienne équitablement à ces deux enfants, Martine et Frédéric :

Jean rédige une clause générique. Malheureusement, un de ces deux enfants, Frédéric, vient à décéder avant lui. Frédéric avait lui-même deux enfants. Au décès de Jean, le capital de l’assurance sera partagé comme suit :

  • 50% pour Martine ;

  • 50% pour les descendants de Frédéric appelés à recueillir le capital en lieu et place de leur père prédécédé selon le mécanisme de la représentation qui trouve à s’appliquer. Les deux enfants se partageront la part de leur père équitablement. Chacun percevra donc 25%.

Jean rédige une clause nominative. Malheureusement, un de ces deux enfants, Frédéric, vient à décéder avant lui. Frédéric avait lui-même deux enfants. Au décès de Jean, le capital de l’assurance sera partagé comme suit :

  • 50% pour Martine ;

  • 50% pour ? Martine par accroissement de sa part ? Les bénéficiaires subsidiaires désignés dans la clause ? La succession ? Rien n’est moins certain et il ne semble pas exister de position claire de la jurisprudence à ce propos. Ce qui est certain, c’est que la représentation ne s’applique pas en faveur des enfants de Frédéric prédécédé.

En effet si l’on s’en tient à une lecture stricte de l’article 172 de la loi de 2014 sur les assurances, la représentation ne jouerait qu’en présence d’une clause générique. Mais cela ne signifie nullement que la représentation ne pourrait jouer dans le cas d’une clause nominative. Simplement, il faut alors prévoir expressément l’application du mécanisme lors de la rédaction de la clause.

Tout ce développement m’amène à réfléchir sur l’intérêt d’une clause nominative par rapport à une clause générique. En effet, si le souhait de Jean est de maintenir le parfait équilibre entre ses enfants, il a intérêt à rédiger une clause générique. Chaque enfant recevra une part égale du capital décès et en cas de prédécès d’un enfant, sa part reviendra à ses propres descendants…

Le recours à la clause nominative devrait selon moi se limiter à l’hypothèse où Jean souhaiterait casser l’équilibre entre ses enfants et par exemple, en exclure un du bénéfice du capital décès (sous réserve des règles successorales civiles du rapport et de la réduction) ou à l’hypothèse où Jean ne souhaiterait pas l’application du mécanisme de la représentation.

Finalement, je vous propose donc de retenir ceci : il sera intéressant de recourir à la rédaction d’une clause générique, sans nommer directement les enfants, dans tous les cas où le souhait du preneur est de maintenir strictement l’équilibre et à la clause nominative dans le cas contraire.

Mais attention, en présence d’une clause nominative, il sera important de réfléchir correctement à la rédaction de cette clause et de prévoir spécifiquement la représentation si telle était la volonté du preneur.

Source : cet article est inspiré du très bon ouvrage de Monsieur Paul van Eesbeeck : P. Van Eesbeeck, Assurances-Placements (branche 21 et branche 23), Rotselaar, V&V Publishing, 2019.