La clause bénéficiaire en pratique : la désignation du conjoint ! Partie 2

Il y a une quinzaine de jours, je vous expliquais ce qu’est le mécanisme juridique de la stipulation pour autrui et en quoi le contrat d’assurance-vie en est l’illustration pratique par excellence (article complet).

Nous avions compris que ce mécanisme octroyait véritablement à l’épargne ou au placement effectué au travers d’un contrat d’assurance-vie, un avantage non négligeable en matière de structuration patrimoniale, du moins sur le plan civil. En effet, en fonction de la rédaction de la clause bénéficiaire décès, le capital de l’assurance-vie n’intègre pas le patrimoine du défunt et n’est donc pas soumis aux règles classiques de la dévolution successorale légale ou testamentaire*.

Souvenons-nous à présent qu’il est possible de rédiger une clause bénéficiaire de deux manières :

  • Soit en désignant génériquement les bénéficiaires. Exemple: “Mon conjoint, à défaut..” ou “Mon cohabitant légal, à défaut…”, “Mes enfants, à défaut…”, etc. Si la clause bénéficiaire est générique, le capital sera versé à la personne qui, au jour du décès, possède la qualité mentionnée dans la clause bénéficiaire ;

  • Soit en désignant nommément le ou les bénéficiaires. Exemple: “Jean Dupont, à défaut…”. Dans ce cas précis, le bénéfice du contrat reviendra spécifiquement à Jean Dupont. Rien de bien compliqué.

Avant d’aborder spécifiquement la question de l’attribution du capital au conjoint/cohabitant légal survivant, notons encore qu’en pratique, il est fréquent de rencontrer des clauses bénéficiaires en “cascade”. Exemple: “le conjoint/cohabitant légal du preneur d’assurance, à défaut les enfants du preneur d’assurance par parts égales, à défaut les héritiers légaux du preneur d’assurance”. Une telle clause en cascade a pour effet de placer les bénéficiaires en ordre de priorité. Les bénéficiaires subsidiaires étant appelés à recueillir le capital dans l’hypothèse où le bénéficiaire principal fait défaut.

La désignation bénéficiaire du conjoint survivant :

Imaginons qu’en souscrivant une assurance d’épargne ou de placement, l’objectif du preneur du contrat soit d’avantager son conjoint dans l’hypothèse de son propre décès.  Dans ce cas, le conseiller du preneur sera attentif à l’impact juridique d’une désignation bénéficiaire générique ou nominative.

Partons d’un exemple : Anne et Jean sont mariés, Anne souscrit un contrat d’assurance-vie et souhaite que Jean en soit le bénéficiaire décès. Deux solutions s’offrent à Anne :

  • Anne choisit une dénomination générique : “Mon conjoint survivant, à défaut…“. Dans ce cas, c’est davantage la qualité de conjoint qui détermine à qui revient la capital de l’assurance. Ainsi, si Anne et Jean sont toujours mariés au décès de Anne, Jean recueille la capital. A l’inverse, si Anne et Jean sont divorcés, ou si Jean est prédécédé, le capital revient au nouveau conjoint de Anne s’il en existe un et à défaut, au bénéficiaire subsidiaire. Dans ce cas, il s’agit bien souvent des enfants ;

  • Anne choisit de désigner Jean nominativement : “ Jean Dupont, à défaut…”. Si Anne décède alors qu’elle était toujours mariée à Jean, une telle clause ne pose pas de problème et le capital revient bien à Jean. La question est bien plus problématique dans l’hypothèse d’un divorce avant décès.

Pour essayer de faire simple, la loi de 2014 relative au contrat d’assurance stipule clairement que le conjoint désigné nommément reste bénéficiaire après le divorce, même en cas de remariage. Selon cette loi, si Anne et Jean divorcent et si Anne n’adapte pas la clause bénéficiaire de son contrat, Jean recueille tout de même le bénéfice du contrat. Néanmoins, selon la doctrine**, il semblerait que la loi de 2014 renvoie spécifiquement à l’article 299 du code civil, lequel après avoir subi plusieurs remaniements, stipule dorénavant que : “Sauf convention contraire, le divorce entraîne la caducité des droits de survie que les époux se sont concédés par contrat de mariage et depuis qu’ils ont contracté mariage”.

Selon les travaux préparatoires ayant conduit à la rédaction de l’article 299 du code civil dans sa version de 2018, il ressort clairement que le bénéfice d’un contrat d’assurance-vie est visé par “les droits de survie”. En d’autres mots, la doctrine majoritaire semble affirmer que contrairement au prescrit de la loi sur les assurances, un conjoint divorcé perd effectivement ses droits au bénéfice d’un contrat d’assurance. Si Jean et Anne divorcent, Jean désigné nommément ne devrait pas pouvoir recueillir le bénéfice du contrat.

Ce développement témoigne de la prudence qu’il convient d’avoir lors de la rédaction d’une clause bénéficiaire. La prudence incitera peut-être les conseillers à rédiger une clause générique en veillant à informer les clients des conséquences juridiques. Ce qui est à proscrire, c’est la clause bénéficiaire mi-générique et mi-nominative du type, “Mon conjoint, Jean Dupont, à défaut … ”. Une telle clause rend en effet malaisé le fait de savoir à qui revient finalement le capital décès en cas de divorce. Nous n’en ferons pas d’autres commentaires.

La désignation bénéficiaire du cohabitant légal survivant :

Imaginons à présent qu’Anne et Jean soient cohabitants légaux plutôt que mariés. Si à bien des égards la cohabitation s’apparente au mariage, il faut néanmoins comprendre que le raisonnement tenu ci-dessus ne peut être transposé purement et simplement. Illustrons :

  • Anne désigne génériquement Jean comme bénéficiaire : “Mon cohabitant légal, à défaut…”. Dans ce cas, soit Jean est toujours cohabitant légal au décès de Anne et il recueille le bénéfice du contrat. Soit Jean n’est plus cohabitant et il perd ses droits au bénéfice du contrat ;

  • Anne désigne nommément Jean : “Jean Dupont, à défaut….”. Dans ce cas, l’article 299 du code civil ne trouve pas à s’appliquer, étant donné qu’il concerne spécifique la question du divorce de deux personnes mariées. C’est donc purement et simplement la loi de 2014 sur le contrat d’assurance qui s’applique. Ainsi, s’il est mis fin à la cohabitation légale, ce n’est pas pour autant que Jean perd ses droits au bénéfice du contrat et ce, même si Anne est dans une nouvelle cohabitation légale. Afin d’éviter toute discussion, Anne aura certainement intérêt à privilégier la clause du style : “Mon cohabitant légal ou mon conjoint, à défaut…”.

Je termine rapidement cet article en mentionnant qu’il est également possible pour un preneur de ne pas désigner son conjoint/cohabitant légal, tout comme il est possible de révoquer son conjoint/cohabitant légal d’une clause bénéficiaire. Mais attention, cela doit se faire au regard du droit civil. Sans nous étendre sur le sujet, il faudra être attentif à ne pas entamer la réserve héréditaire du conjoint survivant, auquel cas, le mécanisme successoral de la “réduction” sera applicable afin de rétablir les droits du conjoint lésé. Tout conseiller sera également attentif au régime matrimonial de communauté avant de conseiller à un client de révoquer purement et simplement un conjoint d’une clause bénéficiaire… Retenez simplement qu’il est possible d’exclure le conjoint/cohabitant légal d’une clause bénéficiaire tout en faisant attention à ne pas léser les droits des autres héritiers.

Dans mon prochain article, j’aborderai de manière plus spécifique la désignation des enfants comme bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie et nous ferons le lien avec la désignation d’un conjoint/cohabitant légal.

*Attention je ne parle ici que des effets civils. Les effets fiscaux seront abordés dans un article ultérieur. Notons simplement à ce stade que le fisc entend bel et bien taxer en droit de succession le capital d’une assurance-vie en ré-intégrant fictivement le capital dans la masse successorale. Nous reviendrons également sur les différentes techniques existantes et légalement reconnues pour limiter voire supprimer les droits fiscaux.

**Voir sur le sujet : “assurances-placement” de Paul van Eesbeeck

Source : cet article est inspiré du très bon ouvrage de Monsieur Paul van Eesbeeck : P.Van Eesbeeck, Assurances-Placements (branche 21 et branche 23), Rotselaar, V&V Publishing, 2019.