L’assurance-vie d’épargne et de placement : les fondements juridiques de la clause bénéficiaire. Partie 1

Après avoir brièvement abordé dans mon précédent article le rôle des assurances-vie dans leur dimension d’outil d’épargne et de placements et après avoir conclu sur le fait que l’intérêt de l’assurance-vie d’épargne et de placements est davantage à chercher dans sa dimension d’outil de structuration patrimoniale, arrêtons-nous à présent sur le fondement même d’un contrat d’assurance-vie d’un point de vue civil et sur son trait caractéristique qu’est la clause bénéficiaire. 

Cet article important permettra ainsi d’introduire ensuite une série d’articles qui illustreront ce vaste sujet au travers de cas pratiques. 

Comme je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises, c’est la structure juridique d’une assurance-vie qui en fait un outil de structuration patrimoniale incontournable. En effet, une assurance-vie est l’illustration pratique par excellence du mécanisme juridique de la stipulation pour autrui,  au sens de l’article 1121 du code civil. En matière d’assurance, le schéma classique est le suivant: un preneur d’assurance “A” stipule qu’à son décès le capital sera versé par l’assureur à un tiers bénéficiaire “B”.  Par tiers bénéficiaire, il y a lieu d’entendre tout autre personne que le preneur d’assurance, sa succession ou ses héritiers légaux. 

Bien souvent, il y a stipulation pour autrui lorsque le conjoint, les enfants ou toute autre personne sont désignés, génériquement ou nommément, dans la clause bénéficiaire du contrat. Le fait que le conjoint ou les enfants aient également la qualité d’héritiers légaux du preneur d’assurance n’enlève rien au mécanisme de la stipulation pour autrui. Ce qui est déterminant, c’est qu’ils soient effectivement nommément ou génériquement désignés. Exemple : “Mon fils jean” ou “mes enfants” et non pas “mes héritiers légaux” ou “ma succession”. 

D’un point de vue du droit civil successoral, le mécanisme de la stipulation pour autrui signifie que le bénéfice du contrat d’assurance n’intègre pas le patrimoine du preneur/assuré à son décès. Autrement dit, le bénéfice du contrat d’assurance est versé par l’assureur au bénéficiaire en vertu d’un droit propre, d’une créance, que tire le bénéficiaire à l’égard de l’assureur. Le preneur a effectivement versé des primes d’assurance à un assureur mais ce dernier est devenu “propriétaire” des primes, à charge pour lui de verser un capital à un bénéficiaire au décès du preneur/assuré.

Il en va autrement si la clause bénéficiaire est libellée en faveur de la succession ou des héritiers légaux. Dans ce cas, il n’y a pas de stipulation pour autrui et les règles de la dévolution successorale légale ou les règles de la dévolution testamentaire s’appliquent et le bénéfice du contrat d’assurance intègre la succession du preneur/assuré. Le bénéficiaire ne dispose pas d’une créance envers la compagnie mais a simplement vocation à recueillir le bénéfice du contrat selon les règles successorales.

Quelles sont les conséquences concrètes de cette stipulation pour autrui ? 

J’en détermine deux fondamentales : 

  1. La première conséquence est que le bénéfice du contrat d’assurance, à partir du moment où il n’intègre pas la succession, échappe au gage des éventuels créanciers du preneur d’assurance défunt. Exemple: un enfant du preneur d’assurance, nommément ou génériquement désigné par le contrat d’assurance, pourra refuser la succession éventuellement déficitaire mais accepter le bénéfice du contrat d’assurance en vertu de son droit propre, de sa créance. Cela a toute son importance lorsque l’on sait qu’un héritier légal/testamentaire ne peut refuser une succession et accepter certains éléments d’actifs du patrimoine. En effet, soit on accepte entièrement une succession (éventuellement sous bénéfice d’inventaire), soit on refuse entièrement une succession.

  2. La deuxième conséquence, et non des moindres, est qu’une disposition testamentaire par laquelle le défunt entend organiser sa succession en instituant, par exemple, un enfant comme légataire universel, n’aura pas d’effet sur le bénéfice du contrat d’assurance. Autrement dit, l’assureur ne tiendra pas compte du libellé du testament et versera valablement le bénéfice du contrat à la personne désignée dans le contrat en vertu de son droit propre. Cela a également toute son importance. Exemple: Imaginons qu’un père souhaite avantager par testament un de ses enfants, Jules, par rapport à sa soeur, Françoise, mais qu’il oublie de modifier la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance. Sa volonté pourrait ne pas être respectée en pratique si Françoise est désignée comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie. Françoise recevra le capital de l’assurance et Jules la succession (sous réserve de la part réservataire de chaque enfant). Clairement dit, en désignant Jules comme légataire universel, l’objectif du père était que Jules recueille les ¾ de sa succession et que Françoise en recueille ¼. Imaginons que le bénéfice du contrat d’assurance représente la majeure partie de ses avoirs, c’est peut être l’effet inverse qui se produira en pratique : Jules recevra ¼ et sa soeur les ¾ au travers du contrat d’assurance. 

Tout conseiller sera donc attentif à régler le sort d’une clause bénéficiaire, soit directement en adaptant la clause, soit au travers du testament, en faisant directement référence à la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance.

Vous l’avez compris, une attention toute particulière est à réserver au libellé d’une clause bénéficiaire. En pratique, nous constatons bien souvent une mauvaise compréhension des conséquences juridiques qu’entraîne la rédaction d’une clause bénéficiaire dans un contrat d’assurance-vie.

Tantôt véritable stipulation pour autrui permettant au bénéficiaire d’échapper aux règles du droit successoral civil, tantôt simple actif successoral sujet aux règles de la dévolution successorale légale ou testamentaire.

Dans mon prochain article j’analyserai spécifiquement les différentes manières “classiques” de libeller une clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie et j’insisterai sur leurs conséquences juridiques pratiques.

Source : cet article est inspiré du très bon ouvrage de Monsieur Paul van Eesbeeck : P.Van Eesbeeck, Assurances-Placements (branche 21 et branche 23), Rotselaar, V&V Publishing, 2019.